Les 7 vies d’Albania
Albania n’est pas une, mais 7 femmes, parmi des milliers, à qui il est arrivé la même histoire au départ : des violences conjugales dans son pays, qui peut être l’Albanie mais hélas aussi tous les pays du monde. Ces violences vont déclencher son départ pour la France. Sa vie va évoluer en fonction des rencontres, de la procédure d’asile qu’elle va entamer pour obtenir une protection en France, de la chance… Je m’appelle Olivier, je suis avocat en Droit d’Asile et membre bénévole de Droits d’Urgence. J’ai défendu plusieurs de ces femmes, certaines dont l’histoire s’est bien terminée, d’autre moins bien, voire très mal. Je suis resté en contact avec plusieurs d’entre elles, et j’ai voulu raconter comment Albania pouvait vivre 7 vies différentes, en France, ou au Paradis. ÉPISODE 1.
Albania a 40 ans. Elle est née à Shkodër, au nord de l’Albanie un pays qui a encore des cotés 19ème siècle mais que quelques Etats européens, dont la France, considèrent comme « pays sûr ». C’est à dire que là-bas, la police et la Justice font leur boulot et les politiques sont des gens intègres. Malgré tout, l’Albanie est néanmoins un pays qui doit patienter un peu, avant d’entrer dans l’Union Européenne…
Mariée par ses parents à 16 ans, Albania a eu 3 enfants avec un homme qui la battait et battait ses enfants. Après 10 ans de violence et une seule démarche auprès de la police, terminée par un appel du policier au mari et un redoublement de la violence, Albania a eu le courage de partir avec ses enfants chez la seule personne qui pouvait la protéger, sa sœur, vivant à Tirana. Elle y a bien sur été retrouvée presque immédiatement et le retour à la maison s’est conclu par une cohabitation de 3 ans avec la maitresse de son mari.
Un jour, ayant réussi à mettre 3 sous de côté, elle part pour la France, avec ses 3 enfants, grâce à un passeur. Le passeur la dépose à la gare de Grenoble et lui indique l’adresse d’un organisme où elle doit faire enregistrer son entrée et sa présence sur le territoire.
Dormir où ? Ce n’est pas le problème du passeur. Ce sera donc la rue. A l’Adate, association où elle se présente dès le lendemain de son arrivée, on lui demande de revenir dans 15 jours. 15 jours, 15 nuits dans la rue… Puis elle y retourne et apprend qu’un rendez-vous sera bientôt pris à la Préfecture, où elle sera reçue d’ici 1 à 2 mois.
Après quelques 5 semaines dans la rue – mais qu’elle ne se plaigne pas, c’était le printemps, la voilà logée dans un centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), dans l’Isère. L’occasion ne se serait pas trouvée si Albania était arrivée seule comme tous ces jeunes hommes érythréens ou soudanais qui ont traversé la moitié du monde et qui, eux, peuvent bien patienter encore un peu dans la rue.
Là, c’est le bonheur. Albania a une assistante sociale, bientôt l’école pour les enfants, des conseils juridiques d’un avocat : moi.
Elle apprend qu’elle vient d’un pays dit « sûr », et que la procédure sera donc « accélérée ».
Olivier Brisson est avocat, membre bénévole de Droits d’urgence depuis 4 ans.
Carnet d’accès au droit est un journal de bord des juristes de l’association.
Ses publications sont régulières et entièrement libres.