Quelques plannings en main, un stylo et masqué bien sûr, me voilà à « accueillir » Monsieur M. sur le trottoir devant le PAD. Lui, la cinquantaine apparente, ressemble à ce genre d’hommes que l’on ne remarque pas dans le métro. Discret. Rusé.
Mais néanmoins ce matin-là, je le reconnais : Monsieur M est un pickpocket. Un voleur qui fait les poches des voyageurs. Sur la ligne 2 du métro parisien, dans le quartier de Barbès. Je le sais. Je me rappelle d’ailleurs de cette fois où cela m’est arrivé à moi : mes poches vides, ma solitude, l’indifférence alentour, le désarroi de la proie dans ce métro qui ne s’arrête pas. D’où je viens alors, le Congo Brazzaville, la scène aurait tourné au lynchage. Point de droit pour les voleurs, juste le devoir d’expier dans sa chair cet impardonnable méfait. Dire que je hais l’espèce de Monsieur M. est un euphémisme.
Deux décennies passées, je suis juriste à Paris et ce fameux matin récent, ce matin désormais ordinaire d’accès au droit, Monsieur M. me tend un courrier de la préfecture : celle-ci envisage de lui retirer la protection dont il bénéficie pour ses méfaits réitérés. Car Monsieur M est réfugié, mais a un casier long comme le bras. En lisant la lettre qu’il me tend, je me surprends : je ne jubile pas. C’est plus fort que moi, je le reçois comme une victime, un monsieur tout le monde qui a besoin d’aide. Je réalise alors que le juriste que je suis a pris le pas sur moi : je défends l’accès au droit pour tous, sans distinction, quels que soient les actes qui amènent quelqu’un ici. Quelques jours après, Monsieur M a eu rendez-vous avec une juriste du Point d’Accès au Droit. Elle a étudié sa demande, ne l’a pas laissé seul.
Karim Nkounkou Siassia est juriste généraliste, coordinateur du Point d’Accès au Droit (PAD) du 18e arrondissement de Paris.
Carnet d’accès au droit est un journal de bord des juristes de l’association.
Ses publications sont régulières et entièrement libres.