Vendredi j’ai reçu Madame M en entretien à la Maison d’arrêt des Femmes de Fresnes. Madame M est incarcérée pour une peine de 2 mois suite à un maintien d’une vingtaine de jours en zone d’attente à l’aéroport où elle avait fait l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire à défaut de pouvoir présenter un visa valide. En 1 mois, c’est la 10ème personne que je reçois en entretien qui est incarcérée pour « soustraction à une mesure de refus d’entrée ou à une mesure d’éloignement », autrement-dit, pour avoir refusé de monter dans un avion et être expulsé. Comme pour la majorité de ces personnes, Madame M est à la recherche de protection et est arrivée en France pour y demander l’asile.
Au-delà de l’absurdité de cette peine dont j’ai du mal à comprendre le sens et l’intérêt, la situation de Madame M me semble tout simplement révoltante. En effet, Madame M, en tant que femme, seule, avec un enfant, victime de violence sexiste, en situation de migration et en recherche de protection, est particulièrement vulnérable. A ce titre, elle devrait pouvoir bénéficier d’une forme de protection ou à minima d’une prise en charge adaptée. Son parcours ressemble, malheureusement, à celui de beaucoup d’autres exilés, mais ne peut que choquer par son horreur. Madame M, qui a subi de graves violences sexuelles, a été contrainte de fuir son pays en raison des craintes qu’elle éprouvait pour sa vie et son intégrité physique. Après avoir traversé différents pays puis risqué de se noyer à plusieurs reprises dans la méditerranée, elle est restée coincée dans le camp de Moria en Grèce, camp réputé pour ses conditions épouvantable, pendant plus d’un an. Suite à un incendie dans le camp, elle a été séparée de son époux et de sa plus grande fille avec qui elle n’a pu communiquer depuis plus de 6 mois. Elle arrive finalement en France avec sa fille de 5 ans, deux ans après avoir quitté son pays, et espère pouvoir y déposer une demande d’asile. Pourtant, elle se retrouve enfermée et séparée de sa fille après avoir refusé d’embarquer dans un avion qui l’aurait ramenée dans un pays où elle craint pour sa vie et ce sans avoir pu valablement faire valoir ses craintes, et ses droits, devant une autorité compétente telle que l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Madame M est à bout de force et la séparation avec sa fille est pour elle insoutenable.
Si au niveau émotionnel cette situation me touche, je ne parviens pas à comprendre, d’un point de vue juridique et sociétal, l’intérêt d’une telle peine autant pour la personne condamnée que pour la société. De façon générale, c’est ce type de situation qui m’amène plus spécifiquement à m’interroger sur la pertinence du système judiciaire actuel qui prévoit une utilisation de la prison quasi-systématique comme réponse à un délit ou un crime. Un système qui favorise donc la punition, la privation de liberté, l’exclusion et la surveillance au détriment d’une approche plus compréhensive basée sur l’accompagnement et la réinsertion.
Pendant la période de confinement, la population carcérale a été largement réduite afin de contenir la diffusion du virus dans les prisons. Cette phénoménale diminution des effectifs a prouvé qu’il était possible de trouver des alternatives à l’enfermement et que la prison ne constituait pas nécessairement l’unique réponse envisageable. Dans « le monde d’après », où il semble possible de tirer les leçons de cette expérience pour améliorer le système judiciaire, la récente situation de Madame M. laisse toutefois apparaitre la nécessité d’un travail profond, pour parvenir à une évolution du système.
Dalia Frantz est juriste généraliste, coordinatrice du Point d’accès au droit (PAD) du centre pénitentiaire de Fresnes
Carnet d’accès au droit est un journal de bord des juristes de l’association.
Ses publications sont régulières et entièrement libres.