Il y a quelque temps, j’ai reçu Monsieur D. dans le Centre d’Hébergement d’Urgence parisien où il est hébergé. Il a demandé à me voir pour que je l’aide à déposer une demande de titre de séjour.
Il se présente, souriant, avec trois sacs-à-dos remplis de documents : les documents d’une partie de vie déjà passée en France. Une vie rêvée, pleine d’espoir, puis de désenchantements.
Monsieur D., originaire du Sénégal, est arrivé en France en 2008. Il remplit toutes les conditions pour déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour fondée sur ses années de présence en France. Il a tous les documents nécessaires permettant de prouver les dix dernières années passées en France – il en a même trop, bien plus que ce que nous pouvons garder ! Pour autant, cette demande est incertaine car elle ne relève pas de la délivrance de « plein droit » d’un titre de séjour mais de « l’admission exceptionnelle au séjour ». Monsieur D. n’a aucune certitude d’obtenir un titre de séjour et il le sait ; il a déjà essayé il y a quelques temps, en vain.
Je le lui explique : Cette étape sera longue. Il faut compter plus d’un an pour avoir une réponse de la préfecture, et il est possible que celle-ci ne réponde pas de façon explicite. Sans même parler de la réponse, la demande elle-même sera difficile à déposer car la préfecture a mis en place un système de prise de rendez-vous par internet qui est complètement saturé depuis son ouverture et face à laquelle les personnes se retrouvent totalement démunies.
Monsieur D. a déjà dû accumuler de nombreuses preuves de présence en France pour espérer obtenir un jour titre de séjour, il va maintenant devoir accumuler des preuves de toutes ses tentatives répétées de prises de rendez-vous par internet, pour simplement obtenir un rendez-vous en préfecture et espérer déposer sa demande.
Pour nous, juristes, ce cas à priori simple n’est pas isolé. Nous recevons de plus en plus de personnes empêchées de faire valoir leurs droits en raison de la dématérialisation des démarches administratives et de l’inaccessibilité de certains services publics, complètement saturés. Lutter contre l’exclusion numérique en intégrant les dysfonctionnements du système est devenu un nouveau combat à mener, une nouvelle facette de notre métier.
A la fin de notre entretien, après avoir expliqué à Monsieur D. tout ce que nous devions faire, et le temps qu’il nous faudrait attendre, il repart, un peu blasé, certes, mais toujours souriant.
Cécile Michaux, juriste à Droits d’urgence.
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