Carnet d’accès au droit #2

Hélène a fui un mari violent. Elle est très fragile et suivie en psychiatrie pour une dépression. Elle n’a pas de ressources, pas de titre de séjour en France. Il est prévu que je la rencontre pour parler de sa situation administrative. Aujourd’hui, avec le confinement, je suis contrainte de réaliser notre entretien par téléphone. Après avoir discuté de son parcours et de sa vie en France, je suis forcée de constater que je ne vois pas de perspective d’obtenir « des papiers » dans un avenir proche.

À l’autre bout du fil, je ne l’entends pas tout de suite, Hélène craque. C’est son assistante sociale heureusement présente avec elle qui me coupe. Elle pleure, n’en peut plus de cette galère. Me parle de sa nécessité de trouver un travail, des ressources – ce qui est très difficile sans titre de séjour. J’essaie tant bien que mal de l’écouter et de lui parler dans mon téléphone mais son assistante sociale préfère mettre fin à l’entretien. Elles sont ensemble dans son bureau,  elle pourra l’apaiser un peu mieux que moi.

Quelques jours plus tard, un autre entretien téléphonique est organisé : 

Sarah a reçu des courriers qu’elle n’est jamais allée chercher, peut-être des recommandés ou des lettres d’huissier, elle ne sait pas me dire. Avec les quelques informations qu’elle me donne, je tente de faire le clair et comprends qu’elle risque d’être expulsée de son appartement, que chez elle, ce n’est peut-être plus chez elle. Je l’entends renifler dans le téléphone. Au bout du fil, Sarah craque. Je tente de tempérer la situation en évoquant des solutions juridiques, mais c’est un exercice compliqué sans la possibilité de la regarder, avec la difficulté à sentir quand c’en est trop pour elle et qu’elle a besoin que je marque une pause… Heureusement pour Sarah, son assistante sociale est avec elle et peut l’aider à calmer ses angoisses.

Avec ces courriers, ces mots durs souvent compliqués et inhabités, un entretien juridique peut être froid. Cependant, en présence de “l’autre”, on peut parvenir à remettre un peu d’humain dans les situations. C’est grâce à ces liens que l’on essaie, au quotidien, d’accompagner les personnes que nous recevons dans des réalités difficiles. Pendant cette période de crise sanitaire, je trouve mon métier difficile à aborder. Impalpable. Le contact humain ne m’a jamais paru aussi nécessaire pour permettre la rencontre et accompagner chacun dans son accès au droit.

Clarisse Barjou, juriste coordinatrice du dispositif Accès au Droit Santé Mentale / ADSM, qui vise à favoriser l’accès au droit des personnes en situation de précarité souffrant de troubles psychiques et/ou psychiatriques

Carnet d’accès au droit est un journal de bord des juristes de l’association.
Ses publications sont régulières et entièrement libres.