À la Maison d’arrêt où je travaille, je viens d’apprendre que M. Y a été transféré à l’Unité d’Hospitalisation Spécialement Aménagée (UHSA) qui accueille les personnes détenues nécessitant des soins psychiatriques 24 heures sur 24. Cet homme s’est retrouvé incarcéré au mois de juillet 2020 et depuis, son état psychique n’a fait que se détériorer. Plusieurs fois signalé par le personnel de surveillance au Service médico-psychologique régional, il aura fallu attendre 4 mois, plusieurs crises et plusieurs passages au quartier disciplinaire, pour qu’il bénéficie d’une prise en charge adaptée.
En réalité, cela fait déjà plusieurs années que M. Y a besoin de soins. Mais depuis son arrivée en France, il n’a fait face qu’à la violence institutionnelle d’un système qui n’a su l’accueillir dignement, lui qui, en recherche de protection, était déjà fragilisé par des expériences traumatiques vécues dans son pays d’origine et sur son parcours migratoire.
M. Y est originaire d’Erythrée. Il a quitté son pays à l’âge de 13 ans, seul, après le décès de son père, prisonnier politique, et parce qu’il craignait d’être enrôlé de force dans l’armée. Après quelques années à travailler au Soudan, il décide de prendre la route vers l’Europe. Il traverse la Libye où il est kidnappé par des miliciens qui veulent lui extorquer de l’argent. Il y est emprisonné et torturé pendant plusieurs mois. Il en garde d’importantes séquelles physiques et psychologiques.
Quand il arrive finalement en Europe, M. Y souffre déjà d’un syndrome de stress post-traumatique lourd. Il dépose sa demande d’asile et obtient un hébergement dans un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA). Sa demande d’asile est rejetée quelques mois plus tard par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA). Il dépose un recours et attend l’audience en appel.
Après plusieurs mois d’attente qui renforcent son stress, il est hospitalisé en psychiatrie pendant 7 jours. Quand il en ressort, il a été exclu de son hébergement et son allocation a été suspendue. Pourtant, son absence était justifiée et il n’aurait pas dû faire l’objet de cette exclusion. Il se trouve dès lors à la rue et sans aucune ressource. Il se présente à plusieurs reprises auprès de l’administration pour récupérer ses droits, mais n’y parvient pas et fini par perdre le contrôle et devenir violent.
Pour ces faits, il est poursuivi en justice. Convoqué un an plus tard au tribunal après deux renvois d’audience faute d’interprète, il se retrouve alors à la rue, n’a plus de domiciliation et ne reçoit jamais la convocation. Il est finalement condamné, en son absence et sans être représenté par un avocat, à 8 mois de prison ferme assortis d’une interdiction du territoire français de 10 ans. Il est incarcéré un an plus tard, alors qu’il se présente à la préfecture pour obtenir son premier récépissé après avoir appris qu’il avait enfin obtenu le statut de réfugié.
M. Y sera libéré dans un mois, il se retrouvera de nouveau dans la rue et ne pourra bénéficier d’un titre de séjour, bien qu’il dispose du statut de réfugié, en raison de l’interdiction du territoire français qu’il faut encore relever.
Pourtant, si M. Y avait bénéficié de soins dès son arrivée en France et qu’il n’avait pas été illégalement exclu de son hébergement et privé de ressources, il ne se trouverait pas en prison aujourd’hui et interdit du territoire. Arrivé en France à la recherche de protection, M. Y n’a pas été protégé mais confronté à de nouvelles formes de violences et de nouveaux traumatismes.
En réalité, depuis son arrivée, M. Y n’a jamais pu accéder à ses droits, à des soins, à un logement et à une assistance juridique. Sa situation est à mon sens symptomatique du non-accueil et de la maltraitance institutionnelle réservée aux étrangers et notamment aux demandeurs d’asile aujourd’hui en France.
Dalia Frantz est juriste généraliste, coordinatrice du Point d’accès au droit (PAD) du centre pénitentiaire de Fresnes
Carnet d’accès au droit est un journal de bord des juristes de l’association.
Ses publications sont régulières et entièrement libres.