Carnet d’accès au droit #13

En décembre 2015, lors de mes permanences au SPIP de Paris, j’ai reçu Monsieur L qui venait de sortir de deux ans d’emprisonnement. Sa dernière condamnation, pour des faits de vente de stupéfiants, avait été prononcée en octobre 2013.

Monsieur L., ressortissant tunisien, est arrivé en France, accompagné de sa mère et de ses frères, lorsqu’il avait quatre ans. Il a décroché de l’école très jeune, et ses problèmes judiciaires n’ont pas tardé à s’enchaîner : conduites sans permis et ventes de stupéfiants. Il n’a pas eu l’occasion de demander la nationalité française à sa majorité.

Monsieur L étant étranger en France, il a entrepris à sa libération des démarches pour obtenir des papiers. Cependant, compte tenu de ses condamnations, la préfecture a d’abord étudié son dossier sur le prisme de l’éloignement du territoire. En effet, pour toutes les personnes étrangères condamnées, la préfecture analyse dans un premier temps s’il est possible de les éloigner du territoire. Si cela n’est pas envisageable, elle étudiera leur droit au séjour.
La situation administrative de Monsieur L a donc été examinée par le 8ème bureau de la préfecture de police de Paris (bureau d’éloignement). Monsieur n’étant pas juridiquement expulsable, ce bureau lui a notifié un avertissement. Ce courrier lui explique qu’il doit respecter les valeurs de la République Française, à défaut, une procédure d’éloignement pourra lui être notifiée. Cette étape passée, il s’est rendu au bureau de séjour où, pendant l’étude de sa demande, un récépissé sans autorisation de travail lui a été remis. Problème : sa mesure judiciaire de mise à l’épreuve décidée par le juge d’application des peines comprenait une obligation de travail pour se réinsérer dans la société.

Au bout d’un an et demi de récépissés, il a été convoqué devant la commission du titre de séjour saisie par la préfecture pour émettre un avis sur la délivrance du titre demandé. Lors de cette commission, il lui a été reproché de ne pas travailler et de ne pas faire d’effort pour se réinsérer. Monsieur L. s’est donc vu refuser son droit au séjour, représentant, au regard de ses condamnations, une menace pour l’ordre public français, sans pour autant être obligé à quitter le territoire. On l’a laissé là comme ça : « Ni expulsable Ni régularisable ». La fameuse catégorie des « NI-NI ».

A la fin de sa mise à l’épreuve, neufs mois après la décision de refus de titre de séjour par la préfecture de police, ne pouvant rester dans cette situation de précarité administrative et ayant exécuté l’ensemble de sa peine, il a déposé une nouvelle fois sa demande de titre de séjour. La préfecture lui a donné un rendez-vous où un récépissé sans autorisation de travail lui a une nouvelle fois été remis, dans l’attente d’un nouvel examen de sa situation par la commission du titre de séjour. La préfecture, cinq ans après sa dernière condamnation, considérait toujours Monsieur L comme une “menace pour l’ordre public”.

Deux ans plus tard, Monsieur L a été convoqué par la commission. En tant que juriste, j’explique que malgré l’absence d’autorisation de travail, Monsieur se débrouille ; il travaille au noir en tant que livreur, et depuis sa libération en 2015, il n’a plus fait l’objet de poursuites pénales ni aucune garde à vue. Il a désormais 31 ans et s’est “rangé”, il attend juste d’avoir la permission de travailler pour être employé dans une entreprise qui répare des scooters. Preuves à l’appui. Et ça fonctionne ! Apparemment, pour la préfecture de police, mieux vaut travailler au noir que ne pas travailler du tout, et ce, même quand on y est pas autorisé ! La commission émet un avis favorable à la remise du titre en insistant sur les efforts de réinsertion sociale entrepris.

Mais ce soulagement est de courte durée. En août 2019, contre toutes attentes, la préfecture lui refuse encore une fois son droit au séjour. Ce refus se fonde encore une fois sur la notion de menace à l’ordre public que Monsieur L représenterait pour la société, en se basant sur ses anciennes condamnations. Le recours hiérarchique déposé auprès du ministère de l’intérieur confirme cette décision. Malgré le fait que Monsieur justifie de ses efforts, aucune chance ne lui est donnée par l’administration pour lui permettre de s’intégrer pleinement au sein de notre société.

Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif annule cette décision préfectorale le 21 octobre 2020 et enjoint au préfet de lui délivrer son titre de séjour. Monsieur L est soulagé. Il a enfin gagné et son droit est reconnu. La préfecture lui envoie par courrier une convocation à laquelle un nouveau récépissé sans autorisation de travail lui est une nouvelle fois délivré, dans l’attente que son titre de séjour soit préparé, nous dit-on.

Un mois plus tard, un texto lui est envoyé : « votre titre de séjour est disponible ». Nous prenons rendez-vous pour aller le récupérer. Il a rendez-vous dans 4 jours.

Mais entre temps, à sa grande surprise, Monsieur L reçoit un courrier de la part de la Cour d’appel administrative. La préfecture a fait appel de la décision du tribunal ! L’appel n’étant pas suspensif, le titre de séjour devrait quand même lui être remis… Néanmoins, je m’interroge : Quel est le sens de cet entêtement de la part d’une administration publique ? Cet acharnement dépeint la maltraitance administrative à laquelle sont confrontées les personnes étrangères et particulièrement celles qui ont été condamnées pour des délits. Un acharnement quasi-systématique à l’encontre des personnes condamnées qui ont grandi en France, mais qui ne sont pas françaises. En quoi laisser ces personnes sur le territoire français sans titre de séjour et les considérer comme des menaces à l’ordre public est-il bénéfique pour notre société ?

Lorsqu’une personne est condamnée, le sens de la peine implique qu’elle soit sanctionnée mais aussi qu’elle puisse se réinsérer dans notre société. Hélas, cette affirmation légale ne semble pas concerner les personnes étrangères, la préfecture de police s’acharnant à ne pas leur laisser cette possibilité. Comme si, en France, les personnes étrangères n’avaient pas de droit à l’erreur.

Julie Guillot est juriste généraliste, coordinatrice du Point d’accès au droit (PAD) du Centre pénitentiaire Paris-La Santé

Carnet d’accès au droit est un journal de bord des juristes de l’association.
Ses publications sont régulières et entièrement libres.