Entretien avec Caroline Joly, nouvelle présidente de Droits d’urgence

« L’accès au droit est la première marche, fondamentale, pour pouvoir jouir de ses droits, vivre dignement. »

Le 10 janvier dernier, le Conseil d’administration de Droits d’urgence a élu Caroline Joly à sa présidence. Elle succède ainsi à Henri Nallet, ancien garde des Sceaux, qui reste au Conseil d’administration de l’association. Trois autres membres ont rejoint à cette date le Conseil d’administration : Sophie Pouget, Bernard Candiard, et Yves Defontaine. Caroline Joly nous livre son parcours d’avocate, sa vision du droit et de l’accès au droit, et comment elle envisage son rôle d’accompagnatrice auprès des équipes de Droits d’urgence pour permettre à l’association de mieux rayonner.

Caroline Joly, pourriez-vous vous présenter ?

J’ai 52 ans. Je suis une femme, mère de trois enfants. Je suis associée d’un cabinet d’affaires. J’ai derrière moi 25 ans d’expérience dans les métiers du droit, et je suis aussi entrepreneuse, puisque j’ai créé, avec mon associée, le cabinet Baro Alto qui compte aujourd’hui une quinzaine de personnes.

Comment le droit est-il venu à vous ?

Je dirais que je suis tombée dedans quand j’étais petite. Avec ma mère, qui était conseillère juridique, puis qui a travaillé au parquet, dans la restructuration des entreprises puis à l’instruction où elle s’est fait connaître. Le droit entrait avec elle à la maison parce que ses dossiers ne la quittaient pas, elle vivait avec. Du droit répressif, du droit d’accompagnement, du droit des affaires…

J’ai finalement opté pour l’avocature parce que je pensais que c’était un métier de liberté. La liberté d’exercer le droit autrement d’une part, et, surtout, en portant la voix des justiciables, d’assurer la liberté de chacun.

Ce qui m’a toujours motivée, c’est l’idée de porter la voix d’autres personnes. Et au bout de 25 ans, je ne me suis pas lassée.

Pourquoi vous-êtes vous engagée dans le droit des affaires en particulier, comme chez Baro Alto ?

J’ai commencé par les chiffres, en école de commerce, ma formation vient de là. Les affaires c’est un peu comme la table de multiplication que vous devez maitriser. Une base. Aujourd’hui je fais du contentieux pénal des affaires et je continue de trouver que le droit des affaires est une école de la précision, de la rigueur et de la méticulosité. C’est une bonne école, celle des dossiers où l’on va au bout du bout des détails, où l’on examine tout sous toutes les coutures. J’aime ça autant que les plaidoiries de défense.

Diriez-vous que vous êtes engagée, ou militante ?

Je défends des valeurs, et je suis fermement convaincue que je veux jouer un rôle dans cette association. Droits d’urgence fait un travail immense et je suis portée par l’idée de me mettre, à ce moment de ma vie, au service de ses combats. Je veux dire : mes 3 enfants ont grandi, mon cabinet est suffisamment lancé, solide ; je suis prête à prendre du temps, à m’investir. Et le cabinet aussi.

Qu’entendez-vous par « un moment de ma vie » ; est-ce comme une nouvelle page que vous souhaitez écrire ?

D’une certaine façon, oui. Mon énergie, je voudrais essayer de la mettre au profit des personnes démunies et exclues. Je constate tous les jours l’existence d’une justice à deux vitesses, les injustices répétées. Alors je me dis, moi aussi, je peux peut-être participer à changer les choses. C’est un peu comme un changement de paradigme dans mon existence.

Vous souhaitez changer les choses ? Lesquelles ?

Attendez, il faut raison garder. La justice est tellement un mastodonte, que, bon… C’est l’humilité d’abord qui doit présider. D’autant plus que j’ai vraiment envie d’être une accompagnatrice des équipes, qui font un travail colossal, la foi chevillée au corps.

En tant qu’accompagnatrice, j’aimerais être capable de leur proposer de nouveaux moyens d’action, de développer davantage l’association, de lui donner la place qu’elle mérite dans le débat public à une époque où tout change très vite. Mais avant cela je veux d’abord faire des immersions. Mes idées ou mes intuitions ne sont peut-être pas les bonnes ; j’ai grandement besoin de me plonger dans le travail de Droits d’urgence.

D’après vous, comment le droit peut-il lutter contre l’exclusion ?

D’abord, pour moi, le droit sans l’accès au droit, ce n’est rien. C’est une idée, une fiction démocratique. Ce n’est pas concret.

L’accès au droit est la première marche, fondamentale, pour pouvoir jouir de ses droits, vivre dignement. Le droit existe mais l’accès au droit est un essentiel démocratique, c’est comme ça que je le vois.

Avez-vous une vision, une ambition, une ligne directrice dans la lutte contre l’exclusion et dans le droit en général ?

Encore une fois, je veux d’abord prendre le temps et ne pas parler de loin, je veux dire loin du terrain qui est le lieu d’expression premier de Droits d’urgence. Je pense néanmoins pouvoir affirmer que dans ce contexte très difficile pour toute la société et plus particulièrement pour les personnes démunies, il nous faudrait amplifier les moyens d’actions de l’association ce qui passe par des nouveaux financements, de nouveaux partenariats, un rayonnement encore accru et l’ambition d’élargir le maillage territorial. Que Droits d’urgence sorte de Paris pour pouvoir profiter à d’autres. J’ai compris que l’ADN était d’aller vers les gens. Alors la question serait où aller, encore plus, pour être toujours au plus près, là où on ne nous attend pas toujours.

Comment votre mandat de Présidente et votre travail au quotidien en droit des affaires peuvent-ils se rejoindre, d’après vous ?

Les choses vont être assez cloisonnées. Il y a peu de ponts entre mon quotidien et Droits d’urgence, et je pense que c’est sain. Je souhaite vraiment sanctuariser du temps pour l’association.

Les quelques ponts que j’identifie cependant, outre la pratique du droit, sont liés à ma connaissance des grandes entreprises et de leur fonctionnement, à ma capacité à mobiliser des gens et à ma pratique entrepreneuriale. Mais tout cela doit se faire en réflexion avec l’équipe.

Comment voyez-vous le début de votre mandat ?

Après un temps d’immersion, de rencontres, mon premier travail va être de définir une feuille de route commune avec les équipes, de fixer un cap, des lignes directrices, des objectifs. Que chacun ait envie d’aller dans le même sens.

Mon intention est de favoriser le travail qui est fait depuis des années ; comment lui donner un élan supplémentaire ? Comment répondre aux nouveaux besoins ?

Je me méfie beaucoup de la fausse bonne idée. Par exemple en matière d’innovation, ma casquette d’avocat d’affaire et d’entrepreneuse parle beaucoup ! Mais je veux me coudre une autre casquette pendant ce mandat : être attentive, prudente, pour ne laisser personne sur le bord du chemin de l’accès au droit.

L’envie, je l’ai. L’énergie, je l’ai. Maintenant, j’attends de voir, d’apprendre. Et il me tarde !

Entretien réalisé par Alice Babin